Le blog de Crayaction


J’étais encore en maternelle pour un petit trimestre. C’est vieux, mais mes souvenirs sont très précis, surtout en ce qui concerne les événements marquants.
Je venais de fêter mes six ans et c’était la rentrée scolaire après les vacances de Pâques.
Mon institutrice, madame Verlaine, nous a rassemblés devant la porte de la classe fermée et nous a promis une surprise. Elle a chauffé son public en annonçant de l’extraordinaire. Elle ne savait pas à quel point…
Théâtrale, elle a ouvert cette porte et nous sommes entrés.
J’ai été stupéfaite, éblouie, transportée…
Elle avait consacré une large part de ses vacances à dessiner à même les murs, une frise de souris habillées comme des personnages. Des souris dont il me semble qu’elle étaient aussi grandes que moi, la moi d’alors, mais c’est peut-être un peu exagéré. Bien des années plus tard, je les ai reconnues dans les illustrations de Beatrix Potter. Ces souris vaquaient à leurs petites affaires, couraient sur les murs, tout en haut, au-dessus de la porte, au-dessus du tableau…


 

 

J’ai eu le souffle coupé.
Et je me souviens nettement d’avoir pensé...

« Un jour, moi aussi, quand je serai grande... »


C’était un vœu imprécis mais puisque madame Verlaine que j’admirais infiniment l’avait fait, j’avais un permis de rêver, assorti de la certitude que c’était possible.

Beaucoup plus tard, je suis devenue « Madame de dessin ». Dessin, et bien d’autres choses, avec les enfants, dessin pour mes collègues qui illustraient leurs documents avec des images sur mesure.
Je dessinais donc souvent, à la sauvette sur un bout de table dès que j’en avais le temps. Les enfants me voyaient faire, en particulier ceux qui avaient la charge de venir chercher des documents photocopiés. Ils s’arrêtaient, me regardaient faire un instant et y allaient de leurs petits commentaires. J’ai entendu d’innombrables variantes de « Comme c’est bien fait, Madame, on dirait que ça sort de la photocopieuse ! »
En fait, ils étaient étonnés de voir naitre le dessin en direct, étonnés que ce soit une vraie personne qui l’exécutait et une personne connue d’eux qui plus est.
J’ai souvent pensé que, moi aussi, je leur offrais un permis de rêver qu’un jour, quand ils seraient grands… et la certitude que ce serait possible puisque c’était un rêve à taille humaine.

Plus tard encore, et ceci est tout récent, j’ai vu arriver l’IA et j’ai accueilli la nouvelle avec curiosité, devinant ce qu’elle apporterait de positif et ne redoutant pas trop le reste…
J’ai un peu soupiré devant la vague d’images léchées, lisses, colorées, mignonnes sur l’air kawaï, les marmots et les animaux stéréotypés aux yeux mouillés et exagérément agrandis dans des frimousses gonflées à l’hélium, la signature de l’IA qui dessine.
La claque, la grosse claque que je n’avais pas anticipée est arrivée ici, sur Facebook, dans les groupes d’enseignants. J’ai vu des affiches, des documents pédagogiques directement proposés aux enfants et illustrés par l’IA… et j’ai lu les commentaires enthousiastes « Comme c’est beau (la beauté est subjective, je dirais plutôt tape à l’œil). Où l’avez-vous trouvé ? Comment avez-vous fait ?... »
Et la vague est devenue tsunami…
Vous croyez peut-être que je me suis dit que l’IA me pique mon job ?
Non, j’ai plutôt pensé que je ne pourrais pas rivaliser, que cette rapidité, cette « maestria » était définitivement hors de portée de mes dix doigts.
Et SURTOUT, j’ai frémi. J’ai pensé aux enfants qui, désormais n’auraient plus de permis de rêver, assorti de la certitude que ce serait possible… Bien sûr, les enfants rêveront encore, ils se rêveront licorne ou Mistouflon, super héros ou princesse galactique… ils en dessineront, même, mais ils ne sont pas fous, les enfants, ils savent que les licornes et les Schtroumpfs ne s’invitent pas dans la vraie vie.


Les Madame Verlaine et les « Madame de dessin »,
avec leurs doigts tachés de peinture ou d’encre,
sont devenues des licornes...

 

Et puis, un jour…
Une éclaircie !

Un commentaire, frappé du coin de bon sens, qui désapprouvait le recours à l’IA et prônait un retour urgent à la personnalisation, au fait main… Et sous le commentaire, une impressionnante volée de petits cœurs, de pouces levés et de câlins solidaires.
Nous avons pensé que tout n’est pas perdu.
Qu’il reste des irréductibles, des combattants de la dernière chance, des adeptes du permis de rêver et de la certitude que les rêves, certains du moins, sont possibles.

Voilà pourquoi, à l’aube des vacances, Crayaction s’est dit qu’il reste quelque chose à tenter, que le rêve de mes six ans et celui que Sacha qui lui a emboité le pas, ont encore des choses à dire, que l’ère des partages n’est pas finie.
Nous astiquons donc, avec conviction, notre petit pot de terre façonné à la main. Il se bagarrera au moins une année encore contre le pot en carbone de l’IA.
Davideke contre Goliath… avec vous tous dans notre carquois, on sait que le rêve est possible.
Mais il faut y mettre le paquet !

Aussi, pour commencer, je nous souhaite à tous des vacances reposantes, reconstituantes et roboratives. Fourbissons nos armes, équipons notre trousse d’outils pointus et performants, prévoyons des stocks de papier (et limitons ceux de pochettes en plastique, même combat, ou presque).

 

2025-2026 sera dynamisant et homérique !



Avant de terminer, je remercie ceux et celles qui se sont inquiétés de nous. Ils se reconnaitront.  Leur sollicitude et leur chaude affection ont contribué à notre retour en force.

 

Marianne